A en juger par le contenu de ses séminaires et de son discours, notre maître Steve Denning semble bien lui-même d'avis que Scrum est le coeur du radical management (=l'agilité d'entreprise=l'innovation continue=le ravissement du client, etc.). Vu que je suis précisément en train d'exposer un modèle qui dit que ce n'est pas le cas, je ne vais pas m'étendre sur les limites de cette approche. Au contraire, on peut remarquer que, dans certains cas, le passage de projets critiques en mode Scrum est un puissant levier de transformation de toute l'organisation. En discutant des conditions de réussite de Scrum, j'ai déjà identifié des vecteurs qui font de l'industrie du logiciel un candidat idéal (le développement représente l'essentiel de la valeur, les profils culturels sont proches, les rôles, produits et marchés sont bien connus, etc. ). L'exemple de Salesforce nous montre la puisssance possible de cette approche de Scrumification. Typiquement, on commence par une "proof of concept" avec un ou deux projets. Des fois, c'est un produit important ; un sur lequel on est en retard et qui semble planté (comme dans l'excellent The Power of Scrum) ; des fois, on commence avec le comité directeur dans une Scrumification waterfall, si j'ose dire, une trickle-down agility. En général, on compte à la fois sur le fait de convaincre les équipes dirigeantes avec des résultats rapides et démontrés ; et sur la capillarité et l'imitation à l'intérieur de la structure.
Ca ne suffit pas forcément. Dans le cas de Salesforce, on voit bien que la culture sous-jacente a épousé Scrum avec enthousiasme, ce qui fait qu'on pourrait presque dire que ce n'était pas vraiment une transformation. Mais si ça n'est pas bien fait, ça peut par contre garantir l'échec. Or, nous sommes tous familiers avec des facteurs d'échec majeurs d'un passage en Scrum:
- L'équipe n'est pas bien définie, ou pas stable
- La vision n'est pas bien définie
- Les bénéfices attendus de l'agilité ne sont pas définis
- Le management ne prend pas Scrum au sérieux
- Il n'y a pas de coaching agile
- On fait du "demi-Scrum" ou du "Scrum à ma sauce", souvent en transformant cet instrument de libération et de progrès des équipes en un apparatus de contrôle quotidien et de flicage total (par exemple le PO ou le Scrum Master se met à affecter les tâches)
- On ne se munit pas d'un vrai PO, par exemple on demande à quelqu'un de la DSI de remplacer les métiers, sans déranger leurs habitudes -- et on rate le point principal, qui est que le client et l'équipe négocient en permanence une vision commune
- On n'a pas la compétence technique suffisante, par exemple pour faire de l'intégration continue et du TDD
- On a choisi un projet qui ne se prête pas bien à l'agilité, comme l'écriture de la Recherche du Temps Perdu
- Insérez votre raison d'échec de Scrum ici
Au moment de développer une stratégie de métamorphose agile, il faut donc se demander
- Est-ce que mes projets agiles sont en condition de réussite?
- Est-ce que, dans mon organisation, la mise en place de projets agiles est possible? (en particulier avec des équipes dédiées)?
- Est-ce que la réussite de ces projets a l'air d'être le moyen le plus efficace pour entraîner toute l'organisation? En particulier, la généralisation de cette transition est-elle facile à percevoir?
Les pratiques agiles, ce ne sont pas seulement les méthodes agiles
Des pratiques agiles sont aussi simplement cela: des pratiques agiles. Il n'y a pas forcément de Scrum, mais il y a des pratiques et des conditions qui sont favorables à l'appropriation du projet commun par tous. La multiplication des privilèges, des injustices et des statuts est par exemple une pratique anti-agile, destructrice d'engagement. Des places de parking attribuées, par exemple, sont humiliantes pour ceux qui n'en ont pas et légitimantes (pas motivantes) pour ceux qui en ont. J'ai connu des clients chez lesquels la hiérarchie était l'alpha et l'oméga de toutes choses. Dans le dernier job d'avocat de ma femme, elle s'est d'abord fait enguirlander pour avoir parlé dans une réunion avant des plus hauts gradés. On peut peut-être comprendre, c'est les manières. Mais elle n'avait pas bien compris la leçon, en fait : ensuite, elle s'est fait enguirlander à propos de l'ordre dans lesquels les destinataires étaient sur la ligne "à" d'un email, ou elle avait apparemment écrit le nom d'un sous-fifre avant celui d'un patron. Je ne sais pas comment on fait pour prendre au sérieux des boites comme çà. Mais je suis sûr qu'elle ne cherche pas à mobiliser la créativité des gens qui bossent pour eux ou leur capacité à tisser des liens durables avec les clients, les partenaires ou les actionnaires.
Dans Liberté et Cie, Barney et Getz détaillent ainsi à l'envie ce qu'ils appellent "l'abolition des privilèges" dans les "campagnes de libération" d'entreprises. On est d'ailleurs au coeur de pratiques que beaucoup imitent mais peu adoptent pour de vrai -- ainsi tout le monde appelle ses collaborateurs des "associates" partout, de nos jours. Mais chez Gore & Cie, on prend au sérieux le fait que ça reflète effectivement un organigramme très plat. De même, nombreuses sont les sociétés à avoir envoyé leurs cadres en observation dans des usines Toyota et à imiter ce qu'ils croient être les "fondamentaux" (par ex. le KanBan), mais sans les mêmes résultats en termes de paix sociale et de qualité.
Ces pratiques se traduisent aussi, si j'ose dire, en pratique : dans les bureaux, les usages, les cafétérias, etc. Les entreprises "agiles" prêtent souvent un attention particulière à "l'esprit des lieux" de l'endroit où ils travaillent. Chez IDEO, par exemple, agence de design, on a refusé de déménager dans des locaux plus grands mais plus froids et moins centraux. Oh, et d'ailleurs, en parlant de pratique : chez IDEO, les employés ont leur mot à dire (en fait, ils décident même) sur le déménagement.
Ces pratiques se traduisent aussi, si j'ose dire, en pratique : dans les bureaux, les usages, les cafétérias, etc. Les entreprises "agiles" prêtent souvent un attention particulière à "l'esprit des lieux" de l'endroit où ils travaillent. Chez IDEO, par exemple, agence de design, on a refusé de déménager dans des locaux plus grands mais plus froids et moins centraux. Oh, et d'ailleurs, en parlant de pratique : chez IDEO, les employés ont leur mot à dire (en fait, ils décident même) sur le déménagement.